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Le tourbillon de la vie politique finit parfois au siphon, et bien malins, parmi les plus optimistes, sont ceux qui ne s’enfoncent pas dans le flou quand le fard de l’arrivisme maquillé d’espoir abuse trop. Curieuse sensation, n’est-ce pas, depuis la nomination à Matignon du plus jeune premier sinistre de la Ve République ? Il paraît même, à en croire ­certains commentateurs, que la «carte jeune» voulue par Mac Macron II «rebat le jeu de la vie politique». Pensez donc, Gabriel Attal n’a que 34 ans, l’âge du fils aîné du bloc-noteur – de quoi se laisser aspirer par la perception dépressive du temps long. Outsider de la course de petits chevaux, l’éphémère ministre de l’Éducation a d’ores et déjà la lourde tâche de devoir s’imposer à un gouvernement plus âgé et capé que lui, et à une Assemblée qui l’attend de pied ferme où, pas plus que sa prédécesseure, il ne dispose d’une majorité. Ne prenons pas de gants : cette nomination, qui s’apparente à une entreprise à tirer dans les coins de la Macronie, acte le fait que rien ne change au Palais du prince-président. Mac Macron II a choisi «le cadet de ses sosies», comme l’écrivait cette semaine Libération. Son passage à l’Éducation nationale en atteste, Attal accentue le virage conservateur du macronisme comme la supercherie dite «de gauche». N’est-il pas plus populaire à droite que les ministres qui en viennent, lui, l’ancien ­socialiste de Sciences-po et proche de la famille Bettencourt ?
Ancien conseiller de Marisol Touraine, soutien de la première heure au futur Mac Macron I, écrasé sous la tutelle de Jean-Michel Blanquer quand il n’était encore qu’un obscur secrétaire d’État à la Jeunesse, Gabi Ier gravit donc à grande vitesse les échelons. Pour deux raisons : sa fidélité à son mentor ; et une réelle et irrésistible faculté à «communiquer». Au point d’en faire oublier, ces derniers temps, le très jeune député qu’il fut, en 2017, alors qu’il surjouait la triangulation en enchaînant les provocations destinées à son camp (supposé) d’origine. Il appelle par exemple, en 2018, à «sortir ce pays de la gréviculture», à l’approche d’une réforme de la SNCF sur le statut des cheminots. Il reprend quelques-unes des outrances des pires réactionnaires concernant l’assistanat : «Il y a des gens qui bossent et n’en peuvent plus de se dire qu’on en protège d’autres qui ne bossent pas.» Depuis, Attal ne cesse de professer sa foi (c’est le mot) dans la survie d’un «espace central». Mais nous connaissons son centre de gravité…
Mais revenons à l’essentiel, les raisons pour lesquels Mac Macron II tente de renverser un bout de sa propre table, contre toutes ses prévisions depuis sa réélection, balayées depuis. Souvenons-nous : après avril 2022, le prince-président disait et répétait à ses conseillers qu’il programmait la césure de son second quinquennat au lendemain des élections européennes de juin 2024, lorsque le bal des prétendants se cristalliserait et qu’il lui faudrait resserrer les rangs autour de ses fidèles. Patatras. Ne le cachons pas, moins de deux ans se sont écoulés et l’hôte de l’Élysée a dû enclencher l’opération survie. Attal, telle une bouée de sauvetage. Résumons : Mac Macron II va essayer de renverser les résultats des européennes, tout en profitant immédiatement de l’énergie de Gabi Ier, non sans le tester… en mettant à l’épreuve son succès fulgurant dans les sondages, jusqu’à sa nomination. Succès fragile néanmoins, d’autant que le pouvoir, cette fois, s’ajuste sans vergogne aux volontés de l’opinion dans l’hypothétique quête d’un nouveau souffle. Pas simple. François Bayrou en personne résume l’ampleur de l’enjeu : «Reconstruire une confiance qui s’est délitée entre Français et l’État.» Comment y croire sérieusement ? Et comment ne pas entrevoir la chronique d’un désastre annoncé ? Quant à Gabi Ier, on le dit déjà en piste pour 2027 ; il aura 38 ans, un an de moins que Mac Macron I en 2017. «Le président est inquiet que quelqu’un de plus jeune que lui soit élu dans trois ans, ça l’obsède», rapporte un visiteur du soir. L’installation de son protégé à Matignon, histoire de le cramer, n’est peut-être pas totalement désintéressée. Un scénario digne, paraît-il, de la série Baron noir, dont Gabi Ier avait rencontré et conseillé les auteurs en 2016. Il n’était alors qu’un simple conseiller ministériel…
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Mon bloc-notes, publié dans l’Humanité du 12 janvier 2024… JED
 

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