80 ans après le décès de Missak Manouchian, le résistant et sa femme Mélinée rejoindront les 81 autres personnalités du Panthéon le 21 février. Un évènement symbolique, pour l’histoire communiste, pour la mémoire arménienne et pour celle de la résistance.
Si l’on se souvient du nom de Manouchian par nos manuels d’histoire au collège, qui sont Missak et Mélinée ? Quels rôles ont-ils joué dans la résistance française ? Et pourquoi feront-ils leur entrée au Panthéon le 21 février prochain ?
Missak Manouchian et Mélinée Soukémian sont tous deux orphelins du génocide arménien de 1915. L’un est recueilli par des Kurdes dans l’Empire Ottoman avant de trouver refuge au Liban. L’autre naît à Constantinople puis est accueillie par la Grèce. Tous les deux apatrides, ils rejoignent la France dans les années 1920, Missak accompagné de son frère, Mélinée de sa sœur.
En arrivant à Paris, Missak, poète depuis les bancs de l’orphelinat, devient membre de l’Internationale communiste et dirigeant du Zangou, journal du HOK (Hay Oknoutian Komité – le comité de secours pour l’Arménie). C’est là qu’il rencontre Mélinée, dactylographe au journal, formée en comptabilité et sténodactylographie à Marseille puis Paris. Les deux s’engagent dans la résistance, et dans une relation passionnelle.
De l’Arménie à l’Affiche rouge
Ils enchaînent les réunions antifascistes, et Missak devient délégué du Parti communiste Français. Il est arrêté une première fois en 1939 peu avant la dissolution du Parti Communiste en France. Relâché faute de preuve, il poursuit les actions militantes avant d’être de nouveau incarcéré en 1941, cette fois au Camp de Royallieu.
Mélinée pendant ce temps, continue de dactylographier et livrer des informations secrètes pour la résistance. Missak est libéré quelques semaines plus tard. Le couple s’engage dans le « travail allemand » (TA) (organisation antifasciste créée par le PCF qui visait à pousser les soldats allemands à s’organiser en opposants au nazisme).
Missak Manouchian rejoint le groupe de résistance armée communiste des « Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée » (FTP-MOI). Il y gagne des responsabilités, dans un réseau dont les membres sont communistes, certains juifs et majoritairement d’Europe de l’est.
Mais en novembre 1943, 23 d’entre eux sont arrêtés lors d’une mission. Ils sont condamnés à mort devant le «tribunal militaire allemand du Grand Paris» en 1944. 22 des combattants de l’ombre sont fusillés le 21 février 1944 par l’armée nazie, en haut du Mont Valérien. La 23ème, Olga Bancic, seule femme du réseau résistant, est guillotinée le 10 mai de la même année à Stuttgart. Missak, 37 ans, était l’un des 23.
« Manouchian. Arménien. Chef de bande. 56 attentats. 150 morts. 600 blessés. » Aux côtés des portraits de 10 de ses camarades résistants, celui de Manouchian et sa photo. Durant le procès des 23 en février 1944, l’armée allemande placarde 15 000 affiches rouges dans les rues de Paris. La propagande nazie rend alors malgré elle célèbre, Manouchian et les « libérateurs » de « l’armée du crime ».
« Mélinée la première a dit que s’il n’y avait pas eu l’affiche, sans doute aurait-on oublié Missak et ses camarades. Elle avait raison : cette affiche a symbolisé le combat des FTP-MOI », estime le documentariste Hugues Nancy dans une interview donnée à l’Humanité.
Entrée au Panthéon, la mémoire
À la mort de Missak, Mélinée qui dactylographiait les comptes rendus des actions de la MOI, prend le pseudonyme de Jacqueline Albertini, pour poursuivre la résistance. À la fin de la Seconde guerre, elle retourne en Arménie, devenue soviétique. Elle dépose aux archives arméniennes, pour les sécuriser, les carnets de notes et de poèmes que noircissait son mari chaque jour.
Après quelque temps, Mélinée retourne en France pour soigner ses douleurs de ventre et retrouver sa sœur à Paris. Elle témoigne, aux côtés d’Henri Verneuil et Charles Aznavour (Mélinée est une amie de longue date de la famille Aznavourian), pour la reconnaissance du génocide arménien.
La reconnaissance, Missak et Mélinée la gagnent cette année. Pour la première fois, ce 21 février 2024, des résistants communistes arméniens entreront dans la nécropole républicaine. Et le couple n’entre pas seul. À côté de leur caveau, les noms des 22 camarades fusillés sur le Mont Valérien et celui de Joseph Epstein, chef des FTP-MOI, seront inscrits en lettres d’or.
La panthéonisation des Manouchian est la célébration d’une pluralité d’identités et de combats. Pour la reconnaissance de la contribution de la résistance communiste, étrangère et juive à l’histoire nationale. Pour la mémoire arménienne, où le travail est encore long après l’ère soviétique (un seul hommage au couple résistant : le Jardin public Missak Manouchian à Everan la capitale). Pour le poète qu’était Missak Manouchian. Et à travers lui, ceux qui l’on fait connaître : Louis Aragon en signant Strophes pour se souvenir en 1955, s’inspirant de la lettre d’adieu de Missak à Mélinée, puis Léo Ferré qui l’interprète quatre ans plus tard sous le nom L’Affiche rouge.
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