Certains défenseurs de l’école publique n’hésitent pas à remercier, de façon ironique, Amélie Oudéa-Castéra. De scandales en révélations, depuis qu’elle a expliqué avoir scolarisé ses enfants au très sélect collège Stanislas, jamais le fonctionnement et le financement de l’enseignement privé sous contrat n’ont été à ce point mis en question.
Au nom de la « liberté de choix » des parents, la République s’oblige depuis 1959 à financer l’enseignement privé sous contrat. Montant : environ 13 milliards d’euros par an, versés sans véritable contrôle, ni financier, ni pédagogique, à des établissements qui se mettent avant tout au service des familles les plus privilégiées et font, à peu près, ce qu’ils veulent de cet argent public.
Pourquoi la République finance-t-elle une école privée ?
En France, l’enseignement privé sous contrat – 7 500 établissements et 2,1 millions d’élèves à la rentrée 2022 – n’a de privé que le nom : l’argent public finance près des trois quarts de son fonctionnement. Depuis 1959, la loi Debré associe le privé au service public d’éducation, en échange de plusieurs engagements : principalement l’accueil des élèves sans distinction et le respect des programmes scolaires. Moyennant quoi la fameuse « liberté de choix » des familles est préservée, au travers de ce contrat qui autorise ces établissements à préserver leur « caractère propre » – catholique pour 96 % d’entre eux.
Mieux : au nom de l’égalité de traitement, on a contraint les communes à verser aux écoles primaires privées les mêmes financements qu’aux écoles publiques, puis pour les élèves scolarisés dans le privé hors de leur commune (loi Carle, 2009), puis aux écoles maternelles privées (loi Blanquer, 2019). On a ainsi renforcé, avec de l’argent public, la concurrence du public par le privé, alors que celui-ci perçoit des frais de scolarité et peut choisir ses élèves – ce dont il ne se prive pas
Ce que finance l’argent public
L’État, pour un montant d’environ 8 milliards d’euros dans les dernières lois de finances, paie les salaires des enseignants. C’est l’une des implications du contrat d’association avec l’État, qui garantit que les élèves du privé bénéficient de la même qualité d’enseignement que ceux du public, avec des enseignants formés et recrutés à égalité. C’est déjà considérable, mais ce n’est pas tout. À cela s’ajoute le « forfait d’externat », participation aux salaires des personnels non enseignants versée par l’État et les collectivités territoriales (régions pour les lycées, départements pour les collèges et communes pour les écoles élémentaires et maternelles), selon le nombre d’élèves accueillis.
Ce que finance l’argent public… en plus
À ces subventions déjà généreuses, les collectivités en ajoutent souvent d’autres à des titres divers : travaux, sécurisation, matériel, voyages… pour des montants parfois considérables. La région Île-de-France a ainsi versé 487 000 euros au collège Stanislas pour réaliser deux ascenseurs, un nouveau bâtiment… Il s’agit bien d’un choix idéologique, car aucun texte ne les y contraint. Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias y voit une « aide publique à la valorisation d’un patrimoine privé ».
Avec ces subventions « extralégales », on estime entre 11 et 13 milliards par an le montant total des divers financements publics versés au privé sous contrat. Et encore cela ne prend-il pas en compte les généreux dégrèvements fiscaux (jusqu’à 75 %, pour l’impôt sur la fortune immobilière) auxquels donnent droit les dons aux associations et autres fondations, qui participent au financement du privé sous contrat…
Un système hors de contrôle
Que l’État contribue au financement de l’école de quelques-uns avec l’argent de tous, c’est une chose. Mais s’assurer que cet argent public est utilisé en conformité avec la loi en est une autre… qui fait visiblement défaut. Le scandale Stanislas le montre avec éclat : enquêtes pour violences sexuelles visant certains encadrants, non-respect des programmes en matière d’éducation à la sexualité, contournements de la procédure Parcoursup… : rien de tout cela n’a jamais été repéré, n’a jamais entraîné ni inspection, ni audit, ni sanctions financières.
Malgré les demandes répétées des élus communistes d’Île-de-France, Valérie Pécresse, présidente de région, a refusé jusqu’à aujourd’hui de suspendre ou retirer ses versements. Or, Stanislas n’est qu’un cas parmi d’autres, comme le souligne Paul Vannier, député FI et corapporteur de la mission d’information – en cours – sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat : pour lui, Stanislas n’est que « l’expression d’un système » dont il pourrait exister « des dizaines, voire des centaines d’exemples dans le pays ».
Quand l’État finance le séparatisme socio-scolaire
Dans son rapport de juin 2023, la Cour des comptes pointe « un net recul de la mixité scolaire » dans le privé sous contrat : « Les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021. Les élèves de milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur (55,4 % en 2021) alors qu’ils représentent 32,3 % des élèves dans le public. » Même tendance pour les élèves boursiers : en 2021, ils étaient 11,8 % dans le privé contre 29,1 % dans le public. Évitement scolaire des classes aisées, sélection par l’argent, éviction des élèves en difficulté… viennent renforcer la ségrégation, dans un système scolaire français qui est déjà l’un des plus inégalitaires de l’OCDE. « On ne peut accepter que deux jeunesses vivent dans des mondes qui s’ignorent », dénonce Paul Vannier.
Écoles hors contrat, l’intégrisme en tête de gondole
Angle mort du débat public, les écoles privées hors contrat – 1 800 établissements et 85 000 élèves – sont bien souvent aussi hors des radars de l’éducation nationale. Contrôlées lors de leur création mais rarement ensuite, elles ouvrent la porte à de multiples dérives, entre intégrisme religieux et idéologie réactionnaire. En 2022, un rapport du Comité national d’action laïque a remarqué dans de nombreux endroits « une grande fermeture vis-à-vis de l’extérieur et le maintien des élèves dans une vision du monde réactionnaire ».
Certains sont liés à des groupuscules intégristes comme la Fraternité Saint-Pie-X. Or, si ces écoles ne bénéficient pas de subventions publiques pour leur fonctionnement, elles peuvent en revanche en recevoir pour leurs locaux. C’est par exemple le cas de celle de Sées, dans l’Orne, dont l’Humanité avait révélé les proximités avec l’extrême droite, ce qui n’empêche pas le département de lui louer un monument historique pour… 1 000 euros par mois.
source : l’Humanité
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