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À rebours de leur discours officiel, les députés d’extrême droite au Parlement européen votent contre quasiment tous les textes de progrès social, en termes de revenus, de protection des salariés ou de dialogue en entreprise. Démonstration.

C’est la plus grande arnaque du Rassemblement national, et elle fonctionne. Le « pouvoir d’achat », le « social », la « défense travail », au cœur de ses campagnes de 2022 malgré des propositions quasi nulles, continuent de porter leurs fruits électoraux. Le 9 juin, 43 % des employés et 58 % des ouvriers s’apprêteraient à voter pour la liste menée par Jordan Bardella, selon un sondage Ipsos du 11 mars.

« Nous portons la voix de cette France du travail », ose encore le président du RN. Et pourtant, ce discours se fracasse sur la réalité des votes des élus RN au Parlement européen. « Quand arrive l’heure du scrutin, leurs députés protègent les patrons et votent contre les travailleurs », résume la Confédération européenne des syndicats.

Contre les revenus minimaux et l’égalité salariale

En premier lieu, l’autoproclamé « parti du pouvoir d’achat » s’oppose – comme au niveau national, où il vote contre la hausse du Smic et contre l’indexation des salaires sur l’inflation – à tous les textes permettant de meilleures rémunérations. Lutter contre les inégalités salariales entre hommes et femmes, pour le RN, c’est non. Interdire aux conseils administratifs de « saper les négociations collectives sur les salaires », pour le RN, c’est non. Introduire des revenus minimaux dans tous les pays européens ? Le RN a voté contre à deux reprises, en septembre 2022 puis en mars 2023.

« Nous estimons que les mesures doivent être gagnantes-gagnantes, s’était alors défendue Dominique Bilde, la cheffe de file des eurodéputés RN sur les questions liées à l’emploi. Nous défendons la mise en place de contrats d’entreprise qui permettront aux employeurs d’être exonérés de la hausse des cotisations patronales en cas d’augmentation de 10 % de tous les salaires, jusqu’à trois Smic. »

Soit des cadeaux fiscaux aux employeurs. « Ces textes sur les salaires minimaux ne sont pas parfaits, concède l’eurodéputée insoumise Marina Mesure. Mais ils introduisent l’idée d’une convergence sociale et d’une exigence de vivre dignement partout en Europe. Le rejet du RN démontre le désintérêt qu’ils ont sur la question sociale. »

Intox sur la lutte contre le dumping social

À l’abri des regards des médias français et du grand public, l’extrême droite française affirme à Strasbourg son réel credo en matière de rémunération : laisser faire le marché et les chefs d’entreprise. Le 13 juin 2023, en expliquant pourquoi elle et ses colistiers s’apprêtent à voter contre un rapport pour rémunérer tous les stagiaires, Dominique Bilde, elle-même ancienne dirigeante d’entreprise, l’exprime sans ambages : « En voulant toucher aux indemnisations et aux conventions de stage, l’UE menace de déstabiliser tout le système, comme elle a d’ailleurs tenté de le faire avec le salaire minimum européen. Pour nous, c’est très clair : nos entreprises sont les mieux placées pour cerner leurs besoins. »

Selon les études d’impact, la mise en place de ces salaires minimaux (dont la hauteur dépend de chaque État membre) ferait progresser les salaires de 20 % en moyenne pour 25 millions d’Européens, principalement dans les pays de l’Est. « Et c’est aussi une réponse au dumping social, ajoute l’eurodéputé écologiste Mounir Satouri. C’est une arme pour éviter que l’usine Renault, par exemple, arrête de délocaliser en Roumanie ou en Pologne pour économiser sur les coûts de production. De même, ils se sont opposés à la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui garantit que les cotisations soient payées, alors qu’ils se sont nourris de la peur du ”plombier polonais”. »

Concrètement, les votes du RN sont à nouveau en totale contradiction avec leur discours. Comme quand Dominique Bilde assure : « Travailleurs détachés, dumping social, je me bats sur ces sujets importants avec comme seul objectif la défense des Français. »

Le credo du RN : laisser le pouvoir aux chefs d’entreprise

Mais qui le RN défend-il réellement ? Les travailleurs – même uniquement français – ou les dirigeants des grandes entreprises ? Toutes leurs prises de position convergent vers la deuxième solution. Les eurodéputés RN refusent ainsi d’imposer un écart maximal de salaires entre les salariés et leurs patrons ; d’introduire une part obligatoire d’employés dans les conseils d’administration (juin 2023) ; ou encore de renforcer le dialogue social dans les comités d’entreprise (février 2023). « Pour résumer leur propos sur ces textes, l’extrême droite voit la démocratie en entreprise comme un danger, et se fiche totalement d’améliorer les conditions de travail », souffle Pierre Larrouturou, député du groupe socialistes et démocrates.

Dominique Bilde l’assume : « Alors que nos entreprises ont besoin d’oxygène pour se développer, nous refusons d’ajouter encore davantage de bureaucratie inutile. Obliger les entreprises à organiser des réunions d’information et à monter des comités… Mais on marche sur la tête ! » a-t-elle développé lors de son explication de vote sur cette résolution.

« Leur argument, c’est que l’Europe est la responsable du malheur social »

Les votes antisociaux du RN lui servent aussi à continuer à taper sur l’Union européenne, qui joue un grand rôle dans la casse du droit du travail et de certains conquis sociaux. « Leur argument, c’est que l’Europe est la responsable du malheur social, ils n’auraient donc aucun intérêt à ce que des progrès sociaux sortent de l’UE, ce serait casser leur fonds de commerce », observe Mounir Satouri. « Je crois surtout qu’ils s’opposent fondamentalement à toute avancée sociale, répond Marina Mesure. Même pour des résolutions a priori consensuelles, comme en mai 2023 pour demander à légiférer sur le bien-être psychologique au travail, ils votent contre. »

Plus libéraux que les macronistes de Renew

Les eurodéputés d’extrême droite sont aussi les seuls Français à s’être opposés en 2021 à des textes introduisant un principe de responsabilité des entreprises dans les dommages causés à l’environnement ou instaurant un devoir de vigilance visant à rendre les sociétés financièrement et judiciairement attaquables en cas de violation des droits humains ou en cas de dommages environnementaux.

Les parlementaires RN ont tenté de réduire la portée du texte avant de voter contre. En matière de droit du travail, ils se montrent encore plus libéraux que les macronistes de Renew, refusant toute contrainte imposée aux employeurs.

Le RN se révèle ainsi être au Parlement européen le pire ennemi de ceux qu’il prétend défendre. Il en va de même avec les agriculteurs, avec cette fois un vote « pour » en validant la PAC décidée par les droites du PPE et de Renew. Le tout en refusant d’introduire des plafonds d’aides – calculées en fonction du nombre d’hectares – afin de mieux les répartir. Avec l’extrême droite, les petits trinquent toujours.

source: Florent LE DU L’Humanité

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