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Au Parlement européen, les élus RN ont voté contre quasiment tous les textes allant dans le sens de la transition écologique, y compris ceux en direction des classes populaires. Le tout avec des arguments contradictoires et fallacieux, révélant le dogmatisme de leur déni climatique.

Février 2024. Les élus du Rassemblement national, se découvrant une fibre pro-agricole, écument les plateaux de télévision pour dénoncer « l’écologie punitive de Bruxelles », responsable, selon Jordan Bardella, « de 90 % des problèmes que subissent les agriculteurs ».

« L’Union européenne, avec le Pacte vert, avec la loi de restauration de la nature qui prévoit la suppression de 10 % des terres agricoles, organise la décroissance et la mort de notre agriculture », répète le président du parti d’extrême droite, peu avare en fake news – l’objectif de 10 % de restauration de la biodiversité concernant des zones terrestres et maritimes dégradées, donc pas uniquement agricoles.

Dans le même temps, des activistes écologistes se mobilisent dans les Bouches-du-Rhône, contre une dizaine de projets immobiliers et de plans locaux d’urbanisme qui rognent des terres cultivées. Les six députés RN du département n’ont jamais pris position sur le sujet.

« Ces fameux 10 % prévus par la loi européenne de restauration de la nature, faits pour restaurer la biodiversité, la pollinisation, donc pérenniser à terme l’agriculture, sont prélevés chaque année dans ce département, mais pour bétonner, explique Marina Mesure, eurodéputée FI du groupe La Gauche. Mais sur ces projets, jamais les élus RN n’ont exprimé le moindre rejet. »

« Des casseurs qui sabotent les ambitions écologiques et sociales de l’Europe »

Un double discours qui illustre l’hypocrisie du Rassemblement national : « Il ne se bat pas pour les agriculteurs mais contre toute mesure écologique », résume le parlementaire écologiste François Thiollet. À Strasbourg et Bruxelles, les élus RN se comportent même comme « des casseurs qui sabotent les ambitions écologiques et sociales de l’Europe », selon l’association Bloom.

Sur la base de 150 scrutins liés à l’environnement, celle-ci a noté tous les groupes politiques siégeant à Strasbourg. Jordan Bardella et ses colistiers reçoivent, de loin, la pire note côté français : 3,8/20. À la lecture des votes de l’extrême droite française, on pourrait même se demander comment elle arrive à récolter quelques points. « Ils sont dans l’obstruction permanente, à la limite du climato-scepticisme », commente Pascal Canfin, président Renaissance de la commission Environnement au Parlement européen.

Jordan Bardella est d’ailleurs ouvertement en guerre contre l’ambition écologique de l’Union européenne, jusqu’à en faire une priorité de la campagne, au même titre que l’immigration : « Il y a deux grandes menaces qui pèsent aujourd’hui sur la France et qui sont décidées à Bruxelles : le pacte pour les migrations et le Pacte vert, qui entraîne les conditions d’une décroissance en Europe. »

Hypocrisie sur la taxe carbone aux frontières

Un « green deal » – qui marque une avancée significative de l’Union européenne en matière écologique mais reste encore loin d’être à la hauteur du défi climatique – que le RN propose d’« abroger » après avoir voté contre quasiment toutes les mesures liées.

Ses élus ont ainsi refusé l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe d’ici à 2030 ; la limitation des déchets d’emballage ; le doublement de la part d’énergies renouvelables ; la lutte contre l’obsolescence programmée ; l’interdiction à la vente à partir de 2035 de véhicules neufs émetteurs de gaz à effet de serre…

 

« Si nous sommes opposés à ce Pacte vert, ce n’est pas parce que nous sommes contre l’écologie, mais parce qu’on ne peut pas exiger de nos producteurs le respect de normes drastiques et laisser entrer, chez nous, des produits qui ne les respectent pas », s’est défendu Jordan Bardella lors de son meeting de lancement de campagne à Marseille, le 3 mars.

Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas avoir voté pour la création d’une taxe carbone aux frontières pour les produits importés dans l’UE depuis des pays aux normes climatiques moins strictes, en 2021 comme en 2023 (votes contre en commission, abstentions en plénière) ? Une « clause miroir » que, sur les plateaux, le président du RN ose pourtant appeler de ses vœux.

« Au nom du  “patriotisme économique, ils prônent aussi la souveraineté énergétique mais votent contre la réduction des importations en gaz, pétrole et charbon, contre la directive sur les énergies renouvelables. Ils veulent en fait empêcher l’électrification de l’économie, ajoute Pascal Canfin. Leur position fait d’eux les idiots utiles des pays qui nous vendent des énergies fossiles. La Russie mais aussi des États qui financent l’islam radical dans le monde… »

Les contradictions de l’extrême droite sont si nombreuses que seul un anti-écologisme dogmatique peut expliquer ses votes au Parlement européen. Jordan Bardella revendique « une écologie positive plutôt que leur écologie punitive », mais s’oppose à toutes les mesures prévues pour amortir les coûts de la transition écologique.

Rejet des mesures sociales

Après s’être abstenu en 2021 sur la création d’un fonds de 17 milliards d’euros « pour une transition juste », en direction des travailleurs touchés par les mesures du Pacte vert, le RN a voté contre le « fonds social », de 86 milliards d’euros. Un outil destiné aux classes moyennes et populaires pour, par exemple, faciliter l’accès à un véhicule électrique ou installer une pompe à chaleur.

Un « outil de pompier pyromane », a jugé la parlementaire RN Joëlle Mélin. Les élus d’extrême droite ont aussi voté contre, en mars 2023, la directive sur la rénovation thermique des bâtiments. « C’est un texte qui doit permettre à 33 millions de personnes de sortir de la précarité énergétique, cela répond à la fois à des enjeux sociaux et environnementaux, c’est une mesure de soutien aux ménages », assure Marina Mesure. Mais le RN s’en fiche.

« L’écologie “positive“, que le RN prétend porter, s’apparente plus à la régression climatique qu’à un quelconque soutien des classes moyennes et populaires, développe Neil Makaroff, directeur du think tank Strategic Perspectives, dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès. Elle consiste à renoncer en catimini aux objectifs de l’accord de Paris sur le climat, à partir en croisade contre les technologies clés de la transition comme le véhicule électrique ou les énergies renouvelables et à maintenir les ménages dans une dépendance dangereuse au gaz et au pétrole. Une casse sociale assurée au moment où les Français et plus largement les Européens voient leurs factures énergétiques et de carburant s’envoler à cause de ces mêmes énergies fossiles. »

Défense des OGM et des pesticides

Enfin, un argument revient sans cesse dans la bouche des eurodéputés RN pour justifier leurs votes : ce ne serait pas à l’Union européenne de légiférer sur le sujet mais à chaque État, dans son coin. Paradoxal quand il s’agit de l’avenir de la planète, et surtout fallacieux. Les eurodéputés RN savent voter des textes contraignants pour l’ensemble des pays.

Comme lorsque, le 7 février, ils se sont prononcés en faveur de l’introduction des nouvelles techniques génomiques, ces OGM de nouvelle génération, avec une réglementation que les États membres auront obligation de suivre. « Même les syndicats agricoles, à part quelques dirigeants de la FNSEA, se sont opposés à ce texte très dangereux puisqu’il exempte ces OGM de toute évaluation des risques avant leur mise sur le marché, sans obligation de traçabilité, d’étiquetage… » précise Marina Mesure.

Soutien sans faille d’un modèle agricole productiviste, les élus RN ont aussi tout fait, en novembre 2023, pour sauver l’avenir des pesticides. À la baguette, la parlementaire Mathilde Androuët a déposé des dizaines d’amendements et cosigné des propositions de rejet qui ont permis de vider de leur substance les textes visant à réduire l’usage des produits phytosanitaires d’ici à 2035, et de ne pas renouveler, pour dix ans, l’autorisation du glyphosate. Toujours au nom des agriculteurs, pourtant les premières victimes.

Le « localisme », une « alternative » identitaire à l’écologie 

Autrefois ouvertement climatosceptiqueen 2012 Marine Le Pen doutait de la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique et qualifiait les experts du GIEC de « prêtres et évêques du changement climatique » – le RN a mis en scène un virage vert en 2019, avec son slogan « Faire de l’Europe la première civilisation écologique ».

« Elle a compris que c’était un enjeu de société et que si elle veut arriver au pouvoir, elle ne peut pas n’avoir rien à dire sur ces questions », estime Pierre Madelin, auteur de La Tentation écofasciste (Écosociété, 2023). Le parti d’extrême droite s’est ainsi doté d’un semblant de projet environnemental, qui en réalité ne repose sur aucune proposition concrète mais sur une seule idée : la défense du localisme.

Pour étoffer leur programme, deux de membres du parti, Hervé Juvin – exclu depuis sa condamnation pour violences conjugales en octobre 2022 – et Andréa Kotarac, ont créé leur mouvement les Localistes en 2020. Leur manifeste prône « l’écologie authentique ou les circuits courts ». Des mots creux qui cachent en réalité, une vision identitaire et un parallèle entre les écosystèmes et le « le biotope français » qu’il faudrait protéger « face aux espèces invasives », plaide Hervé Juvin en 2020.

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