Une saignée dans les indemnités journalières pour limiter leur augmentation ? C’est ce que le directeur de la Cnam laisse redouter pour le budget de la Sécurité sociale 2025. Les syndicats dénoncent une communication stigmatisante qui occulte le caractère mécanique de cette hausse aussi bien que ses causes structurelles.
Une bombe fumigène. Dans un entretien aux Échos, paru le 9 septembre, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), Thomas Fatome, pointait une hausse de 8 % du coût des indemnités journalières au premier semestre 2024, pour évoquer la nécessité de « réfléchir à un nouveau système d’indemnisation des arrêts de travail ».
Le lendemain, le ministre démissionnaire de l’Économie Bruno Le Maire s’émouvait, pour sa part, « du poids de la Sécurité sociale sur la dette publique ». À quelques jours de la présentation du budget, ce tir groupé n’avait rien d’anodin et n’a en tout cas pas échappé aux membres du conseil de la Cnam, instance de gouvernance de l’assurance-maladie regroupant notamment les représentants des salariés et ceux des employeurs.
« Le conseil de la Cnam aurait préféré une approche plus globale à une communication ciblée sur un seul type de dépense et ce d’autant plus au moment de la préparation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale » : le communiqué, publié le 20 septembre – « expressément demandé par la CGT en guise de droit de réponse » –, au nom de l’instance paritaire (à l’exception du collège des employeurs qui ne l’a pas signé), a tout d’un recadrage. Il donne un aperçu des remous suscités par cette sortie médiatique, qui a déclenché un débat houleux lors d’une réunion interne au cours de laquelle le directeur a été interpellé par plusieurs membres.
Une augmentation mécanique
« Ces propos sont inacceptables. Il y a un Code de la Sécurité sociale qui prévoit l’existence d’instances paritaires qu’on ne peut enjamber de façon aussi désinvolte en s’exprimant devant les médias ! » s’indigne Nicole Flajszakier, cheffe de file CGT au conseil de la Cnam.
Au-delà de la méthode, la syndicaliste remet en cause le flou de ce chiffre « biaisé », qui révèle uniquement une hausse en volume de l’indemnisation, sans apporter d’analyse fine de l’éventuelle augmentation du nombre d’arrêts de travail, de leur durée, ni du profil des assurés concernés.
De fait, il apparaît que cette augmentation relève en partie d’un effet mécanique, lié à la revalorisation du Smic, indexé sur l’inflation (+ 5 % en 2022 et 2023) – les indemnités journalières étant égales à 50 % du salaire –, mais aussi à l’augmentation de la population active et à son vieillissement. Le recul de l’âge de départ à la retraite, imposé par les réformes successives, a eu pour conséquence d’accroître la part des plus de 55 ans en activité. Une population plus âgée, donc plus vulnérable aux pathologies.
Un changement « de climat » à l’égard des médecins
Selon un rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, publié en mai 2024, ces derniers représenteraient « 18,3 % de la population active en 2022, et 27 % des journées indemnisées ».
Si le directeur général de la Cnam a bien évoqué ce faisceau de causes mécaniques, le caractère expéditif de ses précisions a eu un effet prévisible.
Dans l’écume médiatique n’a surnagé que la récurrente suspicion de fraude pesant sur les assurés, de nouveau dans le collimateur, Thomas Fatome ayant annoncé, dans son chapelet de mesures, certes un renforcement des contrôles des entreprises « au fort taux d’absentéisme », mais en premier lieu des assurés en arrêt depuis plus de dix-huit mois, ainsi que des échanges « confraternels » avec 7 000 médecins généralistes « prescrivant des arrêts de manière importante ».
« Pendant la campagne de l’an dernier, des collègues ont été ciblés. Or, nous avons constaté que leurs pratiques étaient absolument normales », souligne Agnès Giannotti, la présidente du Syndicat des médecins généralistes (MG France), qui salue toutefois un changement de méthode et « de climat » cette année à l’égard des médecins.
Problèmes structurels
Comme ses collègues, elle n’en est pas moins confrontée quotidiennement aux impasses liées à des problèmes structurels, notamment le manque d’accès aux soins. En témoigne le cas de cette patiente, femme de ménage, reçue dans son cabinet la veille, « avec les genoux en vrac à force de monter et redescendre les escaliers », à qui elle a prescrit un rendez-vous chez un rhumatologue mais qui n’a pas trouvé de place avant… octobre 2025.
La syndicaliste pointe également la recrudescence des arrêts pour des patients en souffrance psychique, broyés par un management de plus en plus toxique et par la perte de sens au travail. Chez les 18-34 ans, les arrêts liés à la souffrance au travail auraient ainsi bondi de 9 %, en 2016, à 19 %, en 2022, selon un baromètre du groupe mutualiste Malakoff Humanis.
« C’est toute l’organisation du travail qu’il faut revoir », analyse pour sa part Nicole Flajszakier. Un chantier qui, selon elle, ne semble pas être la priorité d’un directeur « surtout soucieux de coller à son rôle de bon soldat d’un gouvernement austéritaire, balisant le chemin à une saignée dont la Sécurité sociale risque bien de payer le prix fort ».
source : L’humanité
Partager la publication "Arrêts de travail : l’opération enfumage des pouvoirs publics qui ciblent les salariés"